Présentation arrêt TF 4A_547/2019; Recours contre l'arrêt du TC (Vaud); Cour d'appel civile 26 septembre 2019
I. Objet
Cet arrêt soulève des questions portant sur la responsabilité médicale, le consentement éclairé du patient, l’alternative à une opération chirurgicale et sur les faits nouveaux (art. 317 al. 1 CPC).
Il touche une problématique particulière, à savoir la question de l’allégation des faits nouveaux en procédure civile (art 317 al. 1 CPC).
À titre informatif, la technique médicale dénommée « Gamma knife » dont il est fait référence est un traitement non invasif impliquant l’utilisation d’une machine de radiochirurgie qui envoie des faisceaux de rayons ionisants sur la tumeur cérébrale, de façon très localisée.
II. Faits
Depuis son enfance, A souffre d'une épilepsie résistante aux traitements médicamenteux. Ce trouble se manifestait par des crises invalidantes avec des pertes de conscience à une fréquence de trois à quatre fois par mois. Ce problème ne l’a cependant pas empêché d’exercer son activité professionnelle normalement.
Le lésé s’est soumis à diverses évaluations préchirurguicales et neuropsychologiques à partir de 1997, dont certaines ont été réalisées notamment par un Professeur comptant parmi les spécialistes mondiaux du domaine, exerçant au sein d’un Hôpital public (précision qui revêt une certaine importance pour la suite).
Deux entretiens ont eu lieu avec le lésé et les Professeurs où le patient a pu poser des questions, notamment sur l’indication d’une intervention chirurgicale.
Les risques opératoires lui ont été exposés et le lésé a déclaré comprendre la nécessité d’une intervention qu’il a préféré déférer en premier lieu puis qu’il a choisi de réaliser plus rapidement en raison de crises d’épilepsies avec chutes qui se sont produites dans l’intervalle. S’agissant des risques de l’opération, l’information notamment du 2% de risque de complications neurologiques lui a été présentée, ce qui représentait au total un risque minimal de complications à hauteur de 4% au total.
Cette évaluation était globale et fondée sur les statistiques des grandes études mondiales de l’époque (années 1990) tenant compte tant des risques vitaux que des risques de santé.
En revanche, il est établi que le lésé n’a pas été informé spécifiquement d’un risque de séquelles cognitives et neuropsychologiques (élément en lien avec l’état de la science à cette époque comme nous le verrons).
Le lésé opte finalement pour l’opération en raison des récidives des crises d’épilepsie et décide de se soumettre à l’examen de santé qui lui a été proposé (amygdalo-hippocampectomie)
Le 2 octobre 1998, ce dernier a été opéré par le Professeur comptant parmi les spécialistes mondiaux du traitement de l’épilepsie.
Durant les premières années qui ont suivi l’opération, le lésé n'a plus eu de crises d'épilepsie et il a cessé de prendre son traitement épileptique le 22 octobre 2001. L'opération a par contre été suivie de troubles au niveau du langage et de la compréhension, d'une certaine faiblesse de l'hémicorps droit ainsi que d'une amputation du champ visuel vers la partie supérieure droite.
Depuis l’opération, le lésé est en incapacité totale de travail, notamment en raison de difficultés de concentration et de mémorisation, de troubles d'organisation et de planification, de troubles de compréhension orale, de difficultés de rédaction en français et d’une particulière fragilité émotionnelle (panique, forte émotivité, marginalisation).
Procédure
Le lésé et la Fondation B. (ci-après : la fondation) ont ouvert action contre l'Etat de Vaud (le lésé ayant été opéré par le Prof. E., alors neurochirurgien à l'hôpital X.) le 11 juin 2006 devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Dans leur demande, ils ont conclu à ce que la partie adverse verse le montant de CHF 2'646'142.-, (intérêts en sus), au demandeur et la somme de CHF 1'321'575 (intérêts en sus), à la demanderesse. En dernier lieu, le demandeur a conclu à ce que le défendeur lui verse la somme de CHF 3'709'357 (intérêts en sus), et la demanderesse a conclu au paiement du montant de CHF 1'586'489 (intérêts en sus).
Le défendeur a soulevé l'exception de prescription et conclu au rejet de la demande.
La Cour civile a sollicité deux expertises d’un Professeur/ médecin chef de l’Hôpital universitaire de Bâle et l’autre d’un Professeur/ médecin d’un Hôpital parisien.
Par jugement de 2018, la Cour civile du TC a rejeté les conclusions des demandeurs. Par arrêt de 2019, la CA civile du même tribunal a rejeté les appels interjetés par chacun des demandeurs et confirmé le jugement entrepris.
Les juges cantonaux ont tout d'abord écarté les différentes pièces produites par les demandeurs en appel ainsi que les nouveaux allégués présentés par ceux-ci, les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sur les faits et moyens de preuve nouveaux n'étant pas remplies.
Ils ont en particulier considéré que les appelants n'avaient pas exposé en quoi les pièces produites en lien avec l'appareil Gamma Knife (prétendue alternative, moins invasive et moins risquée, à l'opération chirurgicale subie par le lésé) n'auraient pas pu être remises en première instance
A cet égard, les juges cantonaux ont indiqué que le fait que les informations sur la technique du Gamma Knife avaient été découvertes « par hasard » par le mandataire de la demanderesse au cours d'une autre procédure judiciaire, ne permettait pas d'expliquer pourquoi elles n'avaient pas pu être produites devant les premiers juges.
Sur le fond, la cour cantonale a observé que, sous couvert d'un établissement arbitraire des faits (art. 9 Cst.), les demandeurs visaient en réalité les conséquences juridiques qui en ont été tirées, se plaignant de ce que le lésé n'avait pas pu donner un consentement éclairé.
La cour précédente a considéré que celui-ci ne devait pas porter sur le risque neuropsychologique (lié à l'opération chirurgicale) puisque ce risque spécifique n'avait pas encore été identifié par la science médicale au moment où l'opération a été conduite (octobre 1998), l'expert G. ayant indiqué qu'un risque neuropsychologique spécifique et significatif avait été reconnu par la science médicale seulement en 2004, suite à une « conférence de consensus » tenue par les autorités médicales françaises. La cour cantonale a souligné que, dans la pratique reconnue avant cette date, le risque (encore mal identifié) était englobé dans les pourcentages qui avaient été communiqués au patient, soit 1% de risque d'infection, 1% de risque d'hémorragie et 2% de risques de complications neurologiques, le « risque minimal » étant dès lors de 4%.
« Par surabondance », la Cour relève que le risque sur la base duquel le demandeur allègue un défaut de consentement éclairé (les séquelles neuropsychologiques liées à l'ablation d'une partie du cerveau) ne s'est pas réalisé : les troubles neurologiques et neuropsychologiques du lésé ont été causés (cause la plus vraisemblable) non par l'ablation elle-même mais par une hémorragie dans des régions cérébrales avoisinantes.
Le risque ne pouvait d'ailleurs pas se réaliser puisque, lors des examens préopératoires, les médecins avaient constaté que la zone du cerveau à opérer était déjà atteinte, et qu'il n'y avait dès lors plus besoin d'informer le patient d'un éventuel risque d'atteinte en lien avec l'ablation de cette zone.
Contre cet arrêt cantonal, les demandeurs forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral.
III. Considérant en droit
a. Les novas : la technique médicale de la gamma knife
Les recourants reprochent à la cour précédente une violation de l'art. 317 CPC. Ils sont d'avis que celle-ci a écarté leur requête en introduction de nova qui réalisait pourtant les conditions posées par cette disposition légale. Ils relèvent en particulier avoir bien expliqué, dans cette requête, qu'ils venaient de découvrir – par leur mandataire, dans le cadre d'une autre procédure judiciaire portant sur une opération de cavernome dans le cerveau - l'existence d'un traitement non invasif par une technique dite Gamma Knife, qu'ils n'en avaient jamais entendu parler, que les expertises n'en parlaient pas et que ce fait nouveau était pertinent puisqu'il s'agissait, selon eux, d'une technique alternative, qui aurait permis de traiter le lésé de manière moins invasive qu'avec l'opération chirurgicale ; que le lésé, s'il en avait été informé, aurait selon une vraisemblance prépondérante choisi cette intervention alternative puisque les risques inhérents à cet acte était sans commune mesure avec l'acte chirurgical qu'il avait subi.
Aux termes de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.
i. Le critère de la diligence des parties
S'agissant des pseudo nova, soit les faits et moyens de preuve qui existaient déjà au début des délibérations de première instance, leur admissibilité est largement limitée en appel: ils sont irrecevables lorsque le plaideur aurait déjà pu les introduire dans la procédure de première instance s'il avait été diligent[1].
Chaque partie doit exposer l'état de fait de manière soigneuse et complète et amener tous les éléments propres à établir les faits jugés importants. La procédure d'appel n'a pas pour but de compléter le procès de première instance en permettant aux parties de réparer leurs propres carences, mais de contrôler et corriger le jugement de première instance à la lumière des griefs formulés à son encontre[2]. Il s'agit donc de déterminer si, objectivement, le plaideur a fait preuve de diligence[3]. On ne saurait certes exiger des parties l'impossible en ce sens qu'elles devraient envisager toutes les (possibles) éventualités qui pourraient interagir avec le litige, mais elles sont censées être attentives, de se faire une idée globale de l'objet du litige, du contexte dans lequel celui-ci s'inscrit, et de faire preuve d'anticipation[4].
Le plaideur qui fait valoir des pseudo nova devant l'instance d'appel doit exposer précisément les raisons pour lesquelles il ne les a pas invoquées en première instance[5].
Selon la jurisprudence, une partie ne fait pas preuve de la diligence requise si elle présente des pièces, au titre de nova, alors même que celles-ci se trouvaient dans le dossier ou dans la documentation déjà en possession de la partie[6].
On ne peut a contrario en conclure - comme le souhaiteraient les recourants - que si des faits (des connaissances) scientifiques ne résultent ni du dossier ni de la documentation des demandeurs, on ne saurait alors reprocher à ceux-ci d'avoir manqué de diligence en ne les présentant que plus tard, sous la forme de nova.
Comme on l'a vu, il s'agit, dans une perspective plus générale et en tenant compte de l'ensemble des
circonstances concrètes de l'espèce, de déterminer si, objectivement, le plaideur a fait preuve de diligence.
Appréciation de la diligence : les recourant soutiennent ne pas avoir eu connaissance de l'existence de la nouvelle technique médicale (jusqu'en 2019), ils oublient que le critère de la diligence est objectif et que leur connaissance personnelle (ou subjective) effective n'est en soi pas déterminante.
Dans l'hypothèse où la technique du Gamma Knife serait une véritable alternative à l'opération chirurgicale menée sur le lésé on ne pourrait retenir que les demandeurs ont objectivement fait preuve de la diligence requise, alors même qu'ils ont attendu onze ans depuis le début de la procédure avant de s'enquérir des circonstances médicales de l'opération chirurgicale subie par le lésé et, en particulier, des éventuelles alternatives à cette intervention.
ii. Le critères de l’accessibilité de l’information
On relèvera à cet égard que les éventuelles alternatives à cette intervention constituent, avec la maladie (nature du mal dont souffre le patient) et le traitement préconisé, les trois éléments essentiels sur lesquels l'information du médecin doit porter[7] et que l'on peut attendre d'un plaideur qu'il se fasse une idée globale de chacun de ces éléments lorsque les informations y relatives sont aisément accessibles.
En ce sens, les juges concluent que l’on pouvait raisonnablement exiger d'eux de connaître, si ce n'est le procédé dans son ensemble, au moins l'existence du Gamma Knife puisqu'il leur aurait suffi de procéder à une brève recherche sur internet (simple utilisation d'un moteur de recherche en lien avec la pathologie dont souffrait le lésé) pour être informé de l'existence de cette éventuelle alternative à l'opération chirurgicale correspondante.
Le moyen tiré de la violation de l'art. 317 CPC se révèle dès lors infondé. Les recourants auraient dû produire dès le début de la procédure les publications disponibles à cette époque.
On observera au demeurant que, même si l'on admettait (par hypothèse) la recevabilité des pièces
produites par les recourants en lien avec la technique du Gamma Knife, celles-ci seraient de toute façon impropres à démontrer l'arbitraire de la cour cantonale.
Les recourants relèvent également que les deux experts judiciaires n’avaient pas été interrogés sur les éventuels autres traitements opératoire possibles, argument qui selon les juges est impropre à démontrer l’arbitraire dans la mesure où les experts s’étaient déterminés sur les risques (complications éventuelles) de l’intervention et de ses conséquences, fondant les bases nécessaires et suffisantes sur lesquelles le consentement éclairé du patient reposait.
b. La question de l’arbitraire et de la licéité de l’acte médical
i. Responsabilité médicale
La responsabilité des collectivités publiques cantonales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons à l'égard des particuliers pour le dommage qu'ils causent dans l'exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO, mais les cantons sont libres de la soumettre au droit public cantonal en vertu des art. 59 al. 1 CC et 61 al. 1 CO (ATF 128 III 76 consid. 1a; 127 III 248 consid. 1b ).
Lorsque le canton adopte une réglementation, la responsabilité de la collectivité publique et de ses agents est donc soumise au droit public cantonal.
Le canton de Vaud a fait usage de cette faculté en édictant la loi du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l'État, des communes et de leurs agents (ci-après: LRECA/VD; RS 170.11). Le texte de l'art. 4 LRECA/VD n'exige, pour engager la responsabilité de l'État, qu'un acte objectivement illicite, un dommage et un lien de causalité entre l'un et l'autre (arrêt 4A_132/2014 du 2 juin 2014 consid. 2.1 et les arrêts cités).
Il en résulte que le Tribunal fédéral n'examine la question de l'illicéité de l'intervention chirurgicale que sous l'angle de l'arbitraire (art. 106 al. 2 LTF; arrêt 4A_453/2014 du 23 février 2015 consid. 3.1 et les arrêts cités).
En matière de responsabilité médicale, l'illicéité peut reposer sur deux sources distinctes : la violation des règles de l'art, d'une part, et la violation du devoir de recueillir le consentement éclairé du patient, d'autre part.
Une atteinte à l'intégrité corporelle, à l'exemple d'une intervention chirurgicale, est illicite à moins qu'il n'existe un fait justificatif (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 128 et les arrêts cités). Dans le domaine médical, la justification de l'atteinte réside le plus souvent dans le consentement du patient; pour être efficace, le consentement doit être éclairé, ce qui suppose de la part du praticien de renseigner suffisamment le malade pour que celui-ci donne son accord en connaissance de cause (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 129 et les arrêts cités).
L’absence d’acte illicite scelle le sort du recours, l’illicéité étant une condition nécessaire de la responsabilité médicale.
ii. Devoir d’information incombant au médecin
La portée du devoir d'information du médecin (y compris sur les risques de l'opération), est fonction de l'état de la science médicale. On ne saurait (logiquement) imposer au médecin de donner au patient des renseignements qui ne sont pas encore compris dans cet état[8].
Quant au fardeau de la preuve il incombe au médecin d'établir qu'il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l'intervention[9] (voir aussi arrêts cités et appréciation de la notion du consentement hypothétique du patient[10]. NB : consentement hypothétique du patient admis à titre restreint (opération sans gravité, absence de complexité etc.).
Pour les juges concernant la question de l’arbitraire qui n’est pas retenue, force est de constater que, à la fin des années 1990, le milieu médical n'avait pas encore les connaissances, " d'après l'état de la science et de l'expérience ", pour prescrire aux chirurgiens de fournir aux patients (qui projetaient de se soumettre à une intervention chirurgicale du type amygdalo-hippocampectomie) une information sur le risque spécifique d'atteintes neuropsychologiques (ce risque n'étant pas identifié spécifiquement). Le fait que cette question soit débattue ne modifie en rien ces points.
Pour les juges l’informations donnée au patient et suffisante et son consentement a été donné valablement de manière éclairée en fonction des circonstances.
Le recours en matière civile est rejeté dans la mesure où il est recevable.
[1] ATF 143 III 42 consid. 4.1 [2] ATF 142 III 413 consid. 2.2.2 p. 415 [3] REETZ/HILBER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm et al. [éd.], 3e éd. 2016, no 62 ad art. 317 CPC; FRANCESCO TREZZINI, Commentario pratico al Codice di diritto processuale civile svizzero, vol. 2, 2e éd. 2017, no 29 ad art. 229 CPC. [4] TREZZINI, op. cit., no 29 ad art. 229 CPC; REETZ/HILBER, op. cit., no 62 ad art. 317 CPC [5] ATF 144 III 349 consid. 4.2.1 p. 351 [6] Arrêt 4A_419/2018 du 10 septembre 2018 consid. 6 et l'arrêt cité [7] cf. OLIVIER GUILLOD, Le consentement éclairé du patient, 1986, p. 141 s. [8] Sur ce critère généralement utilisé en lien avec le devoir de diligence du médecin, cf. arrêt 4C.345/1998 du 29 mars 1999 consid. 4b; ATF 120 II 248 consid. 2c et les références; 93 II 19 consid. 2 [9] ATF 133 III 121 consid. 4.1.3 p. 129 [10] cf. ATF 133 III 121 consid. 4.1.3 p. 130 et les arrêts cités
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